Les Mauvaises gens, Étienne Davodeau, Éditions Delcourt, août 2005
La BD peut également être un formidable outil pour raconter le réel. Ainsi, au fil de 180 pages de son remarquable album édité chez Delcourt, Étienne Davodeau nous raconte avec brio et émotion, à travers l’expérience de ses parents, la vie, l’espoir et les combats d’un petit village de l’ouest de la France « Les Mauges », de la fin de la seconde guerre mondiale aux débuts des années ’80.
« Les Mauges », autrement dit, selon certains historiens, probablement mal intentionnés, est la contraction de l’expression « Les Mauvaises Gens », d’où le titre de l’ouvrage. D’abord réticente, Marie-Jo, la mère de notre dessinateur et Maurice, son père, finissent par accepter de se livrer et de raconter les quarante premières années de leur vie. Une histoire qui est également un peu la nôtre. Alors qu’ils sont encore bien jeunes, au lendemain de cette terrible seconde guerre mondiale, la France se reconstruit, se modernise ; le chômage n’existe pratiquement pas. Tous les espoirs sont permis. Quittant l’école au seuil de l’adolescence, Marie-Jo et Maurice découvrent l’usine et l’atelier et leurs pénibles conditions de travail. Le monde ouvrier réclame plus de justice. Au cœur de ce combat, les parents de notre narrateur, catholiques pratiquants, adhèrent tout d’abord à la JOC et la JOCF (Jeunesse ouvrière catholique), puis à l’AOC (Action ouvrière catholique), ensuite à la CFTC. Après l’éclatement de cette dernière en 1964, les voici délégués syndicaux à la CFDT et, parallèlement, ils rejoignent le parti socialiste. L’Eglise bouge également avec Vatican II, se voulant davantage au service des plus pauvres et de la « classe ouvrière », ce qui réjouit Marie-Jo et Maurice , qui se marient alors en janvier 1965. Trois enfants naissent de cette union dont Etienne, l’aîné, l’auteur de cet ouvrage. Maurice est même élu conseiller municipal de son petit village. Pendant la campagne électorale, Etienne a participé au collage d’affiches durant la nuit. C’est également dans ce contexte que notre futur dessinateur de BD voit ses premières esquisses imprimées sur des tracts politiques. Les militants sincères ne peuvent contenir leur joie lorsque, en 1981, François Mitterand accède à la présidence de la République. Nous connaissons la suite !
Une chronique d’une grande clarté littéraire et graphique, au trait et au lavis, qui dépasse le simple cadre familial. Un passionnant survol de l’histoire du syndicalisme catholique. Une nouvelle et indispensable BD par l’auteur de Chute de vélo, édité chez Dupuis, grand prix des libraires de BD en 2005. (G. Lehideux)
Dans la prison, Hanawa, Kazuichi, Ego comme X, 2005
Un dessinateur de manga, Hanawa, condamné à la prison, va porter témoignage sur son expérience carcérale. Sans jamais tomber dans la confidence personnelle lyrique, l’auteur adopte le ton de la critique documentaire. En s’appuyant, certes, sur sa propre expérience, il décrit, avec une froide objectivité apparente, les conditions d’incarcération dans les prisons japonaises. Il dénonce un système qui, sans user jamais de brimades ou violences physiques, réussit à détruire l’humanité des prisonniers. Une gestion « administrative » quasiment minute par minute du temps de l’emprisonnement, une obligation systématique de rites de soumission aux gardiens – sous l’apparence de la « politesse » – ne laissent aux prisonniers aucune latitude de vie personnelle : la vision réaliste, quasi-naturaliste, qui semble manifester une objectivité absolue, s’exprime dans un graphisme en noir et blanc, naturel dans le manga, mais qui, ici , prend toute sa dimension tragique, en refusant pourtant tout esthétisme et tout lyrisme.
Face à cette dénonciation minutieuse et « banalisée » du système carcéral japonais, on peut souhaiter que ce manga ait, sur le Ministère de la Justice, le même effet bénéfique que Say Hello to Black Jack a connu en faisant modifier le système hospitalo-universitaire du Japon.
L’eau et la terre, Séra, Préface de Rithy Panh, Éditions Delcourt, Collection Mirages, avril 2005
Séra, de son vrai nom Phouséra Ing, quitte son Cambodge natal pour la France en 1975, alors que vient d’éclater la « révolution » qui prétend créer le nouveau Kampuchéa sous l’action des Khmers Rouges de Pol Pot qui envahissent Phnom Pen et vident les villes de leurs habitants. C’est l’essence de cette tragédie qui, en un peu plus de trois ans et demi, extermina le tiers de la population au nom de l’Angkar (le « sacrifice révolutionnaire »), que Séra nous donne à voir et à ressentir à travers les destins croisés, littéralement au hasard des routes, de citadins, de paysans, de khmers de tous âges…
Ce devoir de mémoire est rendu par l’auteur grâce à des images superbes ou atroces – mais qui évitent toujours, malgré leur brutalité, le réalisme outrancier – qui, de paysages en visages, dans des tons bistres et de fréquents effets de brume (celles du souvenir ?), créent une atmosphère à la fois pesante et poétique.
Le récit, ouvert par une préface du cinéaste Rithy Panh, lui-aussi dénonciateur de cette révolution faussement populaire, nous invite à ne pas oublier ce génocide de l’intelligence et à accompagner les Cambodgiens d’aujourd’hui dans la tentative de reconstruction tant de leur pays que d’eux-mêmes.
Jacques Tramson
Dans la secte, Henri, Alloing, Éditions La Boîte à Bulles, septembre 2005
Il y a toujours eu, fort heureusement, des BD qui dénoncent les sectes. Sans remonter à Jijé ( » Jerry Spring contre KKK « ), signalons deux albums récents : Kodiak (Frank Lincoln 4) de Marc Bourgne et Serge Perrotin (Éditions Glénat, Bulle Noire) et Un port dans l’ombre (Jérémiah 26) de Hermann (Éditions Dupuis, Repérages). Mais dans ces deux cas, il s’agit de sectes fictives, bien qu’inspirées de faits réels. L’album Dans la Secte, nous livre un témoignage vrai, même s’il date de 20 ans, d’une jeune fille entrée de son plein gré dans la secte de Scientologie (qui s’appelle abusivement « église »), des conditions de son » engagement « , disons de son bénévolat, puis de sa rupture difficile, compte tenu d’un harcèlement impitoyable. Il faut du courage pour témoigner ainsi, encore plus pour éditer ce livre.
La préface est signée Catherine Picard, Présidente de l’Union Nationale des Associations de Défense des Familles et de l’Individu (UNADFI). Le dessin simple et efficace est de Louis Alloing, connu pour 8 tomes de la série Les Moineaux chez Bayard.
Le scénario est signé Pierre Henri, spécialiste de publicité. Paru le 26 août 2005, l’album a été tiré à 4 000 exemplaires et un nouveau tirage est en cours. Il fait partie de la collection » Contre-Cœur » de l’éditeur La Boîte à Bulles.
Roland Francart
Ma vie en l’air, Tronchet, Sibran, Dupuis, Collection Aire Libre, septembre 2005
Ma Vie en l’Air débute comme une véritable histoire extraordinaire. C’est l’incroyable histoire d’Elsa, une fillette qui se surprend un jour à voler, au sens propre, là-haut, au milieu des nuages et des oiseaux. Elle vole pour échapper à la boue du quotidien, à ses parents un peu ogres, franchement bouchers, étrangement vampires, à la vision de sa soeur Célie en train de dépérir. Un jour elle n’en peut plus et elle chute, elle a refusé de voler, son don l’a lâchée.
Tronchet et Sibran une collaboration remarquable déjà remarquée en 2004 pour leur fantastique Là-Bas. Ma vie en l’air est l’adaptation d’un nouveau roman d’Anne Sibran merveilleusement servi par le dessin haut en couleurs de Tronchet.
Julius Knipl, Photographe des travers urbains, Ben Katchor, Casterman, mai 2005
Conçue et réalisée par le dessinateur américain Ben Katchor, déjà connu en France pour Le Juif de New York, traduit au Éditions du Seuil, cette chronique d’auteur raconte les aventures parfois drôlatiques d’un photographe d’immobilier dans les rues d’un New York fantasmatique. À la fois absurde, émouvant, nostalgique ou teinté d’humour, le monde de Julius Knipl séduit par la puissance évocatrice de son dessin et la tonalité particulière de son propos.
La Bicyclette Rouge, Tome 1, Kim Dong Hwa, Paquet,septembre 2005
Empruntez les nombreux chemins de campagne à la rencontre des habitants de Yahwari. Vous croiserez sûrement cette bicyclette rouge, qui circule doucement qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige. Chaque jour, la bicyclette rouge parcourt la contrée de Yahwari. Cette bicyclette est celle du facteur, un homme solitaire qui a appris à vivre en harmonie avec ce qui l’entoure. Il connaît les paysages de la région aussi bien que le cœur de ses habitants. Une route cahoteuse, un petit chemin de verdure, une pente glissante, des champs florissants, il emprunte les chemins que lui indiquent les lettres qu’il doit livrer. Il apprécie son rythme de vie autant que les discussions qu’il peut avoir avec les villageois. Avec la démocratisation du téléphone, le facteur est l’un des derniers bastions de la tradition.
De la veine des manhwas, La bicyclette rouge est un recueil d’histoires contemplatives suivants la vie d’un homme sur la voie de la sagesse. Seul sur son vélo, il mène une vie de réflexion et de contemplation. Toutes les quatre pages, l’auteur nous fait partager les interrogations et conclusions de ce facteur aux inspirations poétiques. À découvrir ….
La Pluie, Lambé, De Pierpont, Casterman, mai 2005
Lui est maître-nageur, elle est sage-femme. Une histoire de presque rien, l’histoire amoureuse d’un homme et d’une femme, rapportée dans son vécu le plus quotidien, sur fond de météo détraquée, d’attirance pour l’eau et de souvenirs de piscine. Cette chronique de l’intime, au plus près des émotions de ses acteurs, surprend et séduit par l’originalité de son dispositif narratif : histoire, découpage, dessin, couleurs, rythme, sens de la poésie et de l’abstraction contribuent à faire de La Pluie une oeuvre délicate et sensuelle.
Chemins d’exil, Lenoir, Warnauts, Raives, Croix Rouge, novembre 2004
Chemins d’exil met en lumière les problèmes liés à l’exil et au déracinement vécus par les demandeurs d’exil. Warnauts et Philippe Lenoir, journaliste à RTBF et rédacteur indépendant, ont été très réceptifs à ce projet de sensibilisation et d’information concernant l’émigration, l’asile, les cultures étrangères en général et le fonctionnement des centres d’accueil en particulier.
À partir d’histoires réelles, Lenoir a construit le scénario. Les dessins et la mise en couleurs ont été réalisés par Warnauts et Raives. Chemins d’exil a pour thème le vécu de trois familles de nationalité différentes, confrontées à des problèmes politiques et économiques dans leur pays, qui les poussent à demander l’asile en Belgique, puis connaître la vie dans un centre d’accueil de la Croix Rouge.