Prix du Jury Œcuménique 2008
Chroniques du Proche étranger – En Tchétchénie, Rash et Tamada, Vertige Graphic, juin 2007
Dessin dur, sujet rebutant, déroulement heurté, ce n’est pas une opération de séduction que nous proposent Rash et Tamada! Mais Jacques Callot aussi, quand il gravait les “malheurs de la guerre” livrait à ses contemporains des images qui n’avaient rien d’aimable. Voilà ce qui arrive quand l’oeuvre et sa source amère sont en si plein accord. Ici le lecteur est invité à une visite guidée de l’horreur contemporaine dans la Tchétéchénie occupée par les forces armées russes. Des vignettes en série alternent avec des tableaux en pleine page ou sur double page, comme alternent le reportage et la légende. Visites à domicile (!), instants passés au chevet de malades, démarches auprès des militaires russes, rencontres dans la boue des camps de réfugiés, sans sortir de sa peau d’étranger l’observateur se trouve ainsi immergé dans la vie d’un peuple de survivants, qui le laissent entrer dans leurs peurs, partager les rêves qui leur tiennent lieu d’espoir, glisser dans l’orgueil de leur résistance, la litanie de leurs morts.
Structuré jusqu’à la lourdeur le dessin noir et blanc passe de la caricature en plomb (Poutine, le colonel…) à la peinture intimiste, explose en soleils d’Apocalypse pour exprimer carnages et bombardements, et finit en fresques étrangement ornementales. On voit en ribambelle naïve des gens qui dansent entre deux désastres ou en hiéroglyphes macabres les ossements des bâtiments bombardés… On voit au milieu de l’horreur inhumaine des coins de paradis. Pas de superlatifs pour caractériser cette bd au ton retenu : ce n’est pas magnifique, flamboyant, insoutenable ou transcendant c’est une oeuvre forte qui rappelle avec modestie et respect une insupportable tragédie.
Jean-Pierre Molina