Prix du Jury Oecuménique 2002
Amours fragiles, » Le dernier printemps « , Tome 1, Beuriot et Richelle, Éditions Casterman, juin 2001
» On m’avait volé les rêves de ma jeunesse « . Ces paroles de Martin Mahner, jeune officier allemand qui traîne son spleen et son malaise sous le chaud soleil de la France du Sud, articulent le passé et le présent, dans une construction narrative du plus pur classicisme cinématographique. À travers l’histoire de Martin, jeune homme timide, attentif mais introverti, qui s’exprime plus facilement par l’écriture que par la parole, Philippe Richelle et Jean-Michel Beuriot proosent une approche intéressante et nuancée de cette période tragique de l’histoire de l’Allemagne. A l’image du héros qui reste toujours en retrait dans les situations ordinaires de la vie, au lycée, en amour, en politique, on relit la tragédie de l’Europe qui de concessions en craintes et timidités, a abandonné ses principes les plus fondamentaux pour basculer dans la situation d’épouvante que l’on connaît. Martin au milieu d’amis superficiels ou attachants, prétentieux ou généreux, se débat entre Andréa qui le poursuit de ses assiduités, Katarina Braun fille du médecin juif qui vient de s’installer en face de ses parents, Gunther son ami d’enfance qui préfère la séduction et la facilité à l’honnêteté et à l’engagement. Il se laisse toujours doubler par les plus forts, les plus malins, les plus méchants tandis que c’est sa parole et sa présence qu’attend peut être son entourage.
» Je me sentais dans la peau d’un coupable « . La narration, longue n’encombre cependant pas l’image, et convient parfaitement au style lent de l’histoire de l’étouffement progressif de ce pays cultivé, par la haine et la brutalité de ces années de plomb et de feu du nazisme en marche. Les couleurs sépias, aquarellées et délicates de Beuriot sont en rapport avec la personnalité introvertie du héros qui subit les événements de sa vie sans oser s’imposer. La connivence du récit, des évènements et du dessin donne une force particulière à cet ouvrage. La grisaille de certaines pages dit sans commentaire la vie lente, traditionnelle, besogneuse et inquiète de l’Allemagne qui abandonne chaque jour aux forces du mal dans des concessions honteuses son idéal et son amour de la science et de la culture.
» Personne n’avait bronché. Pas même moi « . Sur ces paroles de Martin, qui terminent l’album, Richelle signe là grâce au dessin subtil de Beuriot un beau volume de 86 pages qui commence une série prometteuse, sous le titre générique : Amours fragiles.
Bernard Stehr