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Prix du Jury Œcuménique 2021

« Khalat » de Giulia Pex, Éditions Presque Lune, janvier 2020

« Khalat » de Giulia Pex, Éditions Presque Lune, janvier 2020

Elle aurait bien mérité de vivre sa jeunesse, étudier à Damas, rêver devant le prof de Français, se confier à son frère aîné et croire à son idéal de liberté. Mais en Syrie, le printemps des peuples se brise sur la violence bestiale du pouvoir en place et sur la cruauté de l’État Islamique. Alors la jeune fille se retrouve jetée sur le chemin de l’exode, en compagnie de ses parents. Elle porte dans ses bras l’enfant désormais orphelin de son frère assassiné. Chaque fois qu’elle marque une pause dans sa marche, Khalat trouve des amis à aider, des plus faibles à secourir ; et chaque fois elle doit les quitter pour guider son neveu et accompagner ses parents tellement soucieux de la protéger et tellement démunis sans elle…

Sans une plainte, sans une invective, Khalat se bat, raconte, observe. Tout est juste dans ce récit, le dessin autant que les sentiments, la langue autant que les couleurs. Et si la retenue qui caractérise son style captive le lecteur si complètement, c’est qu’elle exprime en même temps la personnalité de l’héroïne et l’art de la narratrice.

Jean-Pierre Molina

Mention spéciale 2021 du prix œcuménique de la BD

« L’Accident de chasse », David L. Carlson, Landis Blair, Éditions Sonatine, août 2020

« L'Accident de chasse  », David L. Carlson, Landis Blair,  Éditions Sonatine, août 2020

Cet album suscite un double étonnement : un pavé de 450 pages, format 21/23, qui se lit avec autant d’aisance qu’une BD traditionnelle ; une lecture attachante comme celle d’un roman alors que l’intrigue est un récit de vie authentique quoique surprenant. La narration est soutenue par un graphisme en noir et blanc aussi puissant qu’élégant.

L’itinéraire du « héros » aveugle est un retour paradoxal vers la lumière : celle de l’honnêteté et de la connaissance. La voie surprenante de cette conversion passe par l’amitié avec un codétenu qui lui fait découvrir le Braille et lui donne le goût de la littérature (et pas la moindre : par exemple, le mythe de la caverne de Platon). Une bande dessinée, qui est un hymne à la littérature et à l’humanité, ne peut qu’être recommandée.

Jacques Tramson

Prix du Jury Œcuménique 2020

« La Boîte de petits pois » de GiedRé et Holly R chez Delcourt

Image de couverture de la BD La boite de petit poisLe titre, La Boîte de Petits Pois, s’il évoque une anecdote de l’album, en est peut- être aussi le résumé symbolique : des petits récits, les uns à côté des autres, au goût sucré-salé… L’autobiographie de GiedRé, très centrée autour de sa mère, évoque les privations (de tout et, en particulier, de liberté) de l’univers lituanien sous le régime stalinien : mais ceci est sous-tendu par une narration faite d’un ton guilleret, soulignée par le graphisme faussement enfantin de Holly R qui s’adapte merveilleusement à la gouaille de la narratrice. L’album qui se termine ironiquement par une évocation des ratés de la société française – depuis Paris où l’héroïne poursuit son itinéraire de vie – , même s’il est une dénonciation sévère du système soviétique, est une vraie et belle leçon d’optimisme.

Jacques Tramson

Prix 2019 du Jury oecuménique de la BD

Image de couverture «CAROLINA » de BARBOSA et PINHEIRO chez PRESQUE LUNE

« CAROLINA » de BARBOSA et PINHEIRO chez PRESQUE LUNE

« CAROLINA » de BARBOSA et PINHEIRO chez PRESQUE LUNE

Carolina est un roman graphique d’environ 100 planches en noir et blanc, dessinées par João Pinheiro, qui a également écrit le scénario en s’appuyant sur un travail de recherches mené parSirlene Barbosa. Le thème de l’ouvrage est l’histoire vraie de Carolina Maria de Jesus (1914- 1977), au parcours étonnant : cette femme noire qui vivait avec ses trois enfants dans une favelade São Paulo tenait un journal quotidien, qu’un journaliste rencontré par hasard réussit à faire éditer en tant que témoignage sur une population totalement marginale . Le livre, intitulé Quarto de despejo, rencontra un succès considérable à sa publication en 1960. Il fut en tête des meilleures ventes au Brésil, et traduit en quatorze langues. En France il fut publié en 1962 aux éditions Stock sous le titre « Le Dépotoir ».

Pour Carolina Maria de Jesus, la gloire et l’aisance financière furent de courte durée, car la bonne société brésilienne, après cet engouement passager, se lassa rapidement de cette intruse venue d’un autre monde. Carolina connut une fin de vie modeste, dans l’anonymat.
C’est donc une biographie poignante et au goût amer qui été choisie par le jury. Le dessin, qui a parfois recours à plusieurs planches sans aucun texte, rend parfaitement compte de la misère et de la violence des favelas. CarolinaMaria de Jesus est tombée dans l’oubli, mais les favelas sont toujours là, de même que, non loin, l’indifférence et la frivolité des nantis : soixante ans après les faits qu’il relate, ce roman graphique reste d’une pertinence absolue.

Dominique PETITFAUX

Mention spéciale 2019 du prix oecuménique de la BD

image de couverture de l'album La troisième population

La troisième population

« LA TROISIEME POPULATION» de DUCOUDRAY et POURQUIE, FUTUROPOLIS et BD BOUM

« La première population, c’est les patients, la deuxième population, c’est les moniteurs et les médecins et la troisième… C’est tous les extérieurs qui viennent à la Chesnaie pour donnerquelque chose aux premières et deuxième populations… Genre deux gars, un scénariste et undessinateur, qui viendraient faire un atelier BD avec les patients »… Ainsi se conclut ce reportage à la Clinique de la Chesnaie, située dans Le Loir et Cher et spécialisée dans la psychothérapie institutionnelle : un lieu ouvert dans lequel soignants (sans blouse blanche) et soignés s’efforcentde retisser un lien distendu, participent tous, à égalité, aux tâches ménagères quotidiennes.

Sans apitoiement : juste de l’écoute, des temps de partage. Bien loin de l’image carcérale véhiculée par d’autresétablissements psychiatriques. Loin aussi des préjugés et des peurs de la maladie mentale, maladie susceptible de frapper, rappelons-le, une personne sur quatre au cours de son existence. L’initiative de cette immersion revient à l’association bd BOUM, organisatrice, entre autres, du festival de bande dessinée de Blois, impliquée à l’année dansde nombreuses actions citoyennes. Gaffeurs et complices, Aurélien Ducoudray (au texte) et Jeff Pourquié (au dessin)brossent de formidables moments de vie. Ça discute, ça vibre, ça tourbillonne… Ceux qui auraient un petit grain de folie ne sont pas forcément ceux que l’on croit !

Patrick GAUMER