Sélection 2012

Vision d'Afrique

Visions d’Afrique, Christophe Ngalle Edimo, Umar Timol, Jean-François Chanson, Pov, Jason Kibiswa, Yannick Deubou Sikoué, Édition L’Harmattan BD, décembre 2010

Deux nouvelles (du polonais anglophone Joseph Conrad et du mauricien Umar Timol) et un reportage du français Albert Londres ont fourni la matière de trois adaptations en BD proposant, comme le suggère le titre, des regards croisés sur le continent africain. Regards d’autant plus croisés que Conrad et Londres évoquent des regards masculins de l’Europe sur l’Afrique (dénonçant les horreurs de sa colonisation de la fin du XIXème siècle aux années  30) alors que Timol, à travers les yeux d’une africaine, oppose la fascination d’une Europe rêvée à l’horreur d’un présent fratricide, directement inspiré par le génocide rwandais. D’autre part, Un Avant-Poste du Progrès associe le scénariste français Chanson au dessinateur camerounais Deubou Sikoué, Terre d’Ebène, le franco-camerounais Edimo au graphiste malgache Pov et Umar Timol adapte son propre texte, Les Yeux des Autres, avec la complicité du congolais Kibiswa.

Le beau graphisme noir et blanc de ce dernier souligne le tragique d’une perspective souvent méconnue, celle du racisme africain inter-ethnique. Pour être plus habituel, le thème des deux récits européens, la déshumanisation engendrée par le colonialisme, trouve un relief particulier dans la stylisation de Pov et les camaïeux de Deubou Sikoué. Au-delà d’une dimension de « docu-fictions » (voire de documentaire pour Londres), ces récits, pourtant de périodes très diverses, s’imposent par la modernité de leur réflexion et l’efficacité de leurs traitements : on les appréciera d’autant plus qu’ils s’inscrivent dans la philosophie très humaniste de la collection L’Harmattan-BD et font découvrir à bon nombre de lecteurs français la richesse de la création africaine de BD.

Jacques Tramson

 

chroniques de la nécropoleChroniques de la Nécropole, Golo et Dibou, Éditions Futuropolis, 2011

Autobiographie à deux mains, voici une belle histoire d’amour et de mort (ou d’amours et de morts) directement nourrie par le réel : le coup de foudre de Golo pour Dibou, leur coup de cœur pour le village de Gournah ; la ville des Morts, haut lieu de la Vallée des Rois, la mort d’un village, sacrifié sur l’autel de l’immobilier touristique.

Le récit graphique, enrichi de toute une documentation combinant témoignages et photographies, offre les visages contradictoires d’une organisation sociale dominée par la recherche du profit et qui ne s’embarrasse pas de l’existence des individus de cette micro-société de Gournah, au contraire caractérisée par la convivialité, l’amour de la vie, l’accueil des autres – fussent-ils de nationalités ou de religions différentes -, et qui créent un univers chaleureux, d’abord inconscient de l’agression masquée des autorités politico-financières qui, sous couvert d’insalubrité et de mise en péril des sites historiques, détruisent l’équilibre d’un lieu de vie qui, peu à peu conscient de l’injustice qui lui est faite, ne se résout jamais pour autant à la colère.

On aimera cet album qui, tout en dénonçant les dérives d’un pouvoir – ce que l’actualité vient de confirmer -, souligne l’énergie et le dynamisme d’une population qui, au milieu des plus médiocres conditions d’existence, affiche sa joie de vivre, non dans l’indifférence mais dans l’ouverture aux autres. Et on aime toujours le graphisme de Golo, entre stylisation et caricature, rehaussé d’une mise en couleurs dont la tonalité, entre ocre et sable, restitue la chaleur physique de cet univers capable de survivre à son assassinat.

Jacques Tramson

 

Les godillotsLes Godillots, Tome 1, « Le Plateau du croquemitaine », Marko, Olier, Éditions Bamboo, mai 2011

Émouvoir avec la guerre des tranchées, d’autres l’ont fait : mais conjuguer l’émotion avec le sourire, voire le rire, c’est une des grandes réussites de cet album. On peut d’ailleurs apprécier le graphisme qui, lui aussi, conjugue la stylisation souvent impressionnante des décors et une caricature qui ne tombe jamais dans le grotesque. L’intrigue, très intelligemment, prend pour héros deux soldats que leur rôle – fournir le ravitaillement – ne promet habituellement pas à l’héroïsme. Elle met sur leur chemin – c’est le cas de le dire – un enfant qui a traversé le pays en guerre à la recherche de son frère (hommage délibéré et affiché au patriotique Tour de France par deux enfants né de la guerre de 70) : ce trio de mousquetaires de l’improbable, complété par le plus improbable encore Salopiot, ex-Kronprinz, singe mascotte abandonné par un régiment de coloniaux, va réussir à échapper au « croquemitaine » du titre – un mitrailleur allemand qui décime les lignes françaises – tout en déjouant les projets criminels de Lartigot, un abominable compagnon de tranchées. Les évènements, resserrés sur deux journées, mettent en évidence l’horreur du quotidien de la confrontation de deux armées face à l’humanité souriante des deux poilus, Palette et Le Bourhis, que renforce bientôt leur « adoption » du jeune Bixente Biscaïchipy.

Le récit, dans sa fausse légèreté, dénonce aussi bien la médiocrité de la hiérarchie militaire que le patriotisme déclinant d’une armée engluée dans ses tranchées. Fidèle à la perception que nous avons aujourd’hui de l’histoire de cette période, il en dégage, en même temps, la permanence de valeurs humaines capables de s’exprimer au milieu des pires contingences. Accessible aux plus jeunes dans sa dimension divertissante, cet album offre aux adultes une lecture moins immédiate mais à la fois plus grave et plus enrichissante.

J. Tramson