Negrinha, Jean-Christophe Camus & Olivier Tallec, Gallimard Jeunesse, Collection Bayou, janvier 2009
Le dessinateur Olivier Tallec, breton baroudeur, après 50 livres illustrés pour enfants, signe ici sa première BD. C’est une réussite. L’album a failli obtenir le Prix du Jury oecuménique de la BD, qui consacre chaque année à Angoulême depuis 1990, une BD à valeurs humaines.
Le travail de scénariste n’est pas sans importance dans ce « coup de cœur » du Jury réuni à Paris le 12 décembre 2009. Jean-Christophe Camus, parisien franco-brésilien, est directeur artistique aux éditions Delcourt. C’est aussi son premier scénario mais il a enchaîné avec les 3 premiers volumes d’une monumentale « Bible » chez Delcourt : le belge Michel Dufranne est co-scénariste et deux dessinateurs croates se sont mis à l’ouvrage, tandis que Frédéric Lenoir, du Monde des Religions, préfaçait les albums. Bref, revenons à l’histoire brésilienne de cette « négresse » de Copacabana, aussi blanche que ses copines de classes, mais dont la maman très foncée est prise pour sa bonne. Malgré les prières de cette maman, la fille découvre un jour que le reste de sa famille vit dans une favelle. L’histoire vraissemblable, tirée du vécu du scénariste, est racontée avec beaucoup de finesse et d’émotion. Incontournable pour qui veut aborder le Brésil multiculturel du XXIème siècle, 5ème pays le plus peuplé du monde.
R. Francart
La mémoire dans les poches, Tome 2, Étienne Le Roux, Luc Brunschwig, Futuropolis, 2009
Rosalie Le Tignal, qui passe pour une « sainte », auxiliaire de vie dans une banlieue défavorisée, s’est révèlée mère férocement possessive de Laurent, lui-aussi engagé auprès des immigrés de son quartier, sous l’œil apparemment débonnaire de son père Sidoine, homme effacé et atteint d’Alzheimer (de petits papiers dans ses poches remplacent sa mémoire).
Le second volume commence lors d’une émission littéraire télévisée où Laurent, dont les polars nourris de la vie des cités connaissent le succès, évoque la dépression de sa mère, consécutive à la disparition de son père, trois ans auparavant. « Lol », hanté par les confidences de sa mère qui lui peint un Sidoine médiocre et égoïste, va découvrir le vrai visage de celui-ci grâce aux documents recueillis par le médecin qui l’a examiné à l’arrivée de sa fugue à Alger. Du fond de sa maladie, le vieil homme s’acharne à faire le bonheur de Malika, la jeune algérienne que son fils avait distinguée parmi ses « élèves » et qui avait été l’occasion d’une brouille avec sa mère. Le survivant de la Shoah s’insurge contre toutes les formes d’oppression, par le racisme, l’extrémisme religieux voire le sexisme. Cette image de la tolérance, discrètement active, est mise en valeur par le dessin légèrement stylisé de Le Roux, soutenu par les atmosphères feutrées de Jérôme Brizard.
Jacques Tramson
L’enfant maudit, Tome 1, « Les tondues », Arno Monin & Laurent Galandon, Grand Angle, 2009
Par les auteurs de L’Envolée sauvage, cet album joue sur les heurts entre la réalité immédiate de Mai 68 et le souvenir des premières heures de la Libération. Gabriel va trouver les sources de sa rébellion de « soixantehuitard » dans sa destinée d’« enfant maudit », adopté en 1945 par un couple de paysans : en effet, c’est sur les pavés de 68 qu’il croise le CRS qui lui jette au visage son statut de « rejeton de boche ».
Commence alors pour le héros qui, jusqu’alors ne s’était pas posé de véritables questions, la longue quête des indices de son identité, face à des témoins parfois hostiles : la rencontre avec son grand-père, qui a rejeté autrefois sa fille « indigne », est une étape particulièrement dure de la reconnaissance de soi entamée par Gabriel qui devrait, dans le second et dernier volet annoncé, retrouver les traces de son père.
Avec beaucoup de sensibilité, les deux auteurs nous font partager les émotions du jeune homme, en même temps qu’ils dessinent des ébauches sobres mais significatives des univers ruraux puis urbains qui servent de toiles de fond aux deux moments-clés de sa vie. Le graphisme acéré de Monin est adouci par la mise en couleurs de Florent Bossard qui excelle en particulier à créer des ambiances en camaïeu.
Jacques Tramson